Les poèmes sont confinés de Benoist Magnat, avril 2020
de Benoist Magnat
avril 2020
seul sous le regard des autres
C’est le printemps
En ces temps de confinement
ma petite ville a disparu
ma contrée a disparu
la France a disparu
la terre entière a disparu
il ne me reste que la lune
où je peux accrocher mes pensées
Mon corps s’est dissout dans la solitude
mes mains sentent juste le poids d’une plume
mes pieds battent le sol en rythme avec une chanson
C’est la douce chaleur du printemps
le soleil caresse la terre avec l’aide d’une brise
les fleurs illuminent la terre
avec son herbe grasse et verte
les bourgeons rendent la vie aux arbres
l’humanité n’existe plus qu’à la télévision
ou parfois dans une voix au téléphone
Je n’ai plus de rage et de colère
un grand silence grandit dans ma gorge sèche
j’entends la vie bruisser et la mort marcher pas à pas
J’attends que mon chemin s’ouvre
je remue un peu de terre pour exister
j’arrache quelques « mauvaises » herbes pour m’exprimer
et dans la nuit longue et majestueuse
j’entends dans mes souvenirs des rires d’enfants
ou des voix fantômes qui agitent le sablier
je ne sens plus mon cœur battre à toute volée en ce jour de printemps
Je reste un vagabond de mon âme
jusqu’à la fin des temps
même si les jours se ressemblent infiniment
Benoist Magnat
Un temps de suspension
l’imaginaire se perd dans des brumes blanches
la peur de la mort s’insinue dans les failles de notre conscience
Un temps de solitude
pour penser le néant ou repenser la vie
Benoist Magnat
à l’aide
Poème de prison (super confinement)
(en 1974 mis à l’isolement pendant 3 mois à la prison d’Yverdon en Suisse pour objection politique, publié en 1975 éditions « Librairie adversaire » « Poèmes au poing levé » 45 poèmes affiches)
Je crie Liberté de tout mon corps
je transpire liberté de toutes mes pores
ma tête a besoin de se couper du tronc
mes bras de courir dans l’espace
je n’en puis plus de liberté d’espaces d’hommes et de femmes
je crie plus fort que mes barreaux
ultra-sons que personne n’entend
sinon ma souffrance d’être là
Liberté tu m’enlèves ma soif
je n’arrive même plus à me boire
dans le cercle intérieur de mes membres
mais à aimer uniquement le breuvage des autres
Aux portes fermées mon corps tremble sous la colère
mon esprit prend forme de bélier
liberté liberté je te violerai un jour
et nous ferons l’amour pendant mille jours et mille nuits
comme des amants soudés l’un à l’autre
dans la solitude et la violence
Haine sur vous, vous qui nous enchaînez
au nom d’un peuple qui pourri dans la prison d’à côté
liberté je t’aime et dire que c’est à cause de ton nom
et non de ma liberté toute simple que les prisons m’enchaînent
Prisons de mon être prisons de tous les êtres enfermés
je vous hais autant que les cages à tigre
que toutes les tortures les plus humiliantes
Liberté je t’arracherai à ton symbole à ton piédestal
pour te graver le nom de tous ceux qui meurent sans t’avoir rencontrée
Liberté je t’envoie mon coup de poing le plus magistral
pour que tu tombes une fois au moins au milieu du peuple
et moi et moi liberté
Benoist Magnat
(en ce moment je n’ai plus de haine, mais j’en déteste certains (des politiques) comme vous pouvez l’imaginer)
Un écureuil sent un poème éclore
il raconte le monde
autour la terre est bien floue
*
Je suis heureux de fêter la naissance d’un autre monde
avec vous en fleur première
et sur l’horizon je ferme la marche
*
Nous saluons la France confinée
et nous voyons de nos yeux ébahis
la dictature venir à petits pas et le coronavirus à grands pas
Poèmes et Haïkus de Benoist Magnat
Un beau matin
Il n’avait peur de personne Il n’avait peur de rien Mais un matin un beau matin Il croit voir quelque chose Mais il dit Ce n’est rien Et il avait raison Avec sa raison sans nul doute Ce n’était rien Mais le matin ce même matin Il croit entendre quelqu’un Et il ouvrit la porte Et il la referma en disant Personne Et il avait raison Avec sa raison sans nul doute Il n’y avait personne Mais soudain il eut peur Et il comprit qu’il était seul Mais qu’il n’était pas tout seul Et c’est alors qu’il vit Rien en personne devant lui Jacques Prévert |
coronavirus en chocolat
JE SUIS COVID–19 On avait dit que le virus N’épargnerait que les enfants et les prévisions furent bientôt confirmées Il ne resta bientôt sur terre que les enfants Qui s’empressèrent de troquer Pistolets à eau et autres armes de pacotille Contre des armes automatiques des vraies Ils s’entretuèrent comme des grands On avait dit que le virus N’épargnerait que les seniors et les prévisions furent bientôt certifiées Il ne resta bientôt sur terre que les seniors Mais ils peinèrent à se supporter Chacun s’efforçant de sauver Le bout de chandelle de sa vie Ils s’épuisèrent jusqu’au dernier On avait dit que le virus N’épargnerait que les femmes et les prévisions furent bientôt démontrées Il ne resta bientôt sur terre que les femmes Certaines relevèrent le défi D’autres se crêpèrent le chignon Mais comme toutes portaient le chignon Dans la mêlée elles s’étouffèrent On avait dit enfin que le virus N’épargnerait que les hommes Et les prévisions furent bientôt vérifiées Il ne resta bientôt sur terre que les hommes Qui ne firent rien d’autre Que ce qu’ils ont toujours su faire Quand le dernier d’entre eux fut défait Moi aussi j’avais disparu VIRGIL SCURV |
C’était de très grands vents sur toutes faces de ce monde, De très grands vents en liesse par le monde, qui n’avaient d’aire ni de gîte, Qui n’avaient garde ni mesure, et nous laissaient, hommes de paille, En l’an de paille sur leur erre… Ah ! oui, des très grands vents sur toutes faces de vivants ! Saint-John Perse, extrait de Vents. |
seule dans le monde
Aimé Césaire
« Et à moi mes danses
mes danses de mauvais nègre
à moi mes danses
la danse brise-carcan
la danse saute-prison
la danse il-est-beau-et-bon-et-légitime-d’être-nègre
À moi mes danses et saute le soleil sur la raquette
de mes mains »
Aimé Césaire, extrait du Cahier d’un retour au pays natal
Si, je n’écris pas ce matin,
Je n’en saurai pas davantage,
Je ne saurai rien
De ce que je peux être.
Si j’écris, c’est disons pour ouvrir une porte.
Le plus curieux
J’ignore à quel moment se fait cette ouverture
D’ailleurs ce qui se lève c’est peut-être un rideau.
Guillevic, extrait de « Art Poétique », suite scandée
Les clapotis dans le soir
Et les miroitements des jasmins
Attendent devant notre seuil une réponse.
Que nous réclament-ils ? Que nous apportent-ils ?
Ton corps nu, nu ton corps, tout nu,
Cloué au coeur de la nuit,
Le vent doré, la lumère incarnée.
Yannis Ritsos, « Les clapotis dans le noir », extrait du recueil La Symphonie du printemps
Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui
Va-t-il nous déchirer avec un coup d’aile ivre
Ce lac dur oublié qui hante sous le givre
Le transparent glacier des vols qui n’ont pas fui !
Un cygne d’autrefois se souvient que c’est lui
Magnifique mais qui sans espoir se délivre
Pour n’avoir pas chanté la région où vivre
Quand du stérile hiver a resplendi l’ennui.
Stéphane Mallarmé, extrait du sonnet dit « Le Cygne ».
J’ai planté un arbre
J’ai méprisé ses fruits
J’ai utilisé son tronc comme bois de chauffage
J’ai fabriqué un luth
Et j’ai joué un air
J’ai cassé le luth
Perdu le fruit
Perdu l’air
J’ai pleuré sur l’arbre
* Poète palestinien Samih al-Qasim (1939-2014)
Jeanne parle ; elle dit des choses qu’elle ignore ;
Elle envoie à la mer qui gronde, au bois sonore,
À la nuée, aux fleurs, aux nids, au firmament,
À l’immense nature un doux gazouillement,
Tout un discours, profond peut-être, qu’elle achève
Par un sourire où flotte une âme, où tremble un rêve,
Murmure indistinct, vague, obscur, confus, brouillé.
Dieu, le bon vieux grand-père, écoute émerveillé.
Victor Hugo, « Jeanne fait son entrée » extrait de L’Art d’être grand-père
nouveau masque à la mode
Confinement perse. par Hâfez de Chiraz (1325-1390).
Au temps de la tulipe, prends la coupe, sois sans hypocrisie!
Quand se lève le parfum de la rose, respire un moment avec le zéphyr!
Je ne dis pas de te vouer au vin l’année entière,
Bois durant ces trois mois, abstiens-toi durant neuf mois.
Lorsque le Maître pèlerin de l’amour te renvoie au vin,
Bois et attends-toi à la miséricorde de Dieu!
Si comme Djamshîd tu désires atteindre le mystère de l’invisible,
Viens, sois le confident de la Coupe qui révèle le monde.
La condition du monde est d’être nouée comme bouton de rose,
mai toi, sois celui qui dénoue, comme le fait le vent printanier!
N’attends de personne la fidélité et si tu n’entends pas ces mots,
Pars en vaine poursuite du Simorgh et de la pierre philosophale!
Ne deviens pas adepte d’obéissance aux étrangers, Hâfez,
Mais reste le compagnon des libertins qui te sont familiers!
Au Cabaret Vert, cinq heures du soir
Depuis huit jours, j’avais déchiré mes bottines
Aux cailloux des chemins. J’entrais à Charleroi.
– Au Cabaret-Vert : je demandai des tartines
De beurre et du jambon qui fût à moitié froid.
Bienheureux, j’allongeai les jambes sous la table
Verte : je contemplai les sujets très naïfs
De la tapisserie. – Et ce fut adorable,
Quand la fille aux tétons énormes, aux yeux vifs,
– Celle-là, ce n’est pas un baiser qui l’épeure ! –
Rieuse, m’apporta des tartines de beurre,
Du jambon tiède, dans un plat colorié,
Du jambon rose et blanc parfumé d’une gousse
D’ail, – et m’emplit la chope immense, avec sa mousse
Que dorait un rayon de soleil arriéré.
Arthur Rimbaud, Cahier de Douai
On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans. — Un beau soir, foin des bocks et de la limonade, Des cafés tapageurs aux lustres éclatants ! — On va sous les tilleuls verts de la promenade. Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin ! L’air est parfois si doux, qu’on ferme la paupière ; Le vent chargé de bruits, — la ville n’est pas loin, — A des parfums de vigne et des parfums de bière… Arthur Rimbaud, extrait de « Roman » dans le recueil Cahier de Douai. |
Printemps de la poésie
Nous avons cherché
De quoi nous avions soif,
À l’aube de ces années de dureté
Et de peur qu’on nous prédisait.
Nous avons été réveillés
Par une voyageuse du Nord
Nos enfants ont défilé
Nous avons réalisé
Notre risque de disparaître
Il fallait du courage pour le dire…
Voilà notre soif
Et ce cri de ralliement
Qu’ont trouvé nos sœurs et frères poètes,
Courage !
Ils ne savaient pas
Combien ils étaient prophètes.
La grande peur dans la ville
Est là, roulant
Ses cailloux engorgés
La Terre a trouvé sa revanche
A coups d’anémones et de beau silence
De bourgeons et d’oiseaux affairés
Et peut-être d’autres choses,
Celles qui renversent tout.
Nul n’est poète en son pays
Mais le prophète, la Terre et le poème
S’épuisaient à DIRE
Nous les avions muselé
Nous devrons maintenant
Trouver et DIRE le COURAGE.
Jean-Daniel Robert – 26 mars 2020 – Inédit
ÉCHOS AU LOGIS
La Cétoine funeste (ou Drap mortuaire)
a-t-elle jamais si bien porté son nom ?
Elle profite de mon confinement
connement, pas finement,
pour bouloter le cœur des fleurs :
poiriers, pommiers, cerisiers.
Et moi, ainsi,
menacé de famine au prochain été.
Mais je veille : entre pouce et index, chaque jour,
j’extermine.
Henri Tramoy
Les montagnes pâlissent
Sous le soleil trop éclatant
De ce début de printemps
Nimbé de bleu
Sur le balcon je rêve
Abrité d’un monde
Devenu irréel
Où plane sans bruit
Une menace cachée
Sonnerie à la porte
Un ami apporte
Vivres et sourires
Lumière et fraternité
Solide réalité
Sous nos yeux
Reconstruite
Bien à vous toutes et tous.
Jean-Marc Denervaud
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Les arbres
Aujourd’hui je vous écris car les arbres me manquent
Je lève les yeux au ciel et mes pieds ne touchent plus terre
Mes pas autrefois étouffés par des feuilles et du sable
Cherchent un chemin nouveau dans l’ombre de mes pensées
Abritant les vertus et les conduites dangereuses
Les arbres venaient rejoindre mes heures creuses
Je suis seule et l’horizon reflète mes prières
Les champs de colza grandissent autours de moi
Je veux lever les yeux au ciel même si je ne te vois pas
Sans les arbres et leurs mélodies, mon Dieu es-tu là ?
L’écorce qui s’élance me donne le vertige
Prends-moi la main même si tu n’es qu’une tige
Dans mon jardin, à la tombée de la nuit, je vous imagine
Mon chapelet s’unira de nouveau à vos majestés
Les arbres comme mes amis me manquent
Et mon âme languit de vous retrouver.
© Emmanuelle Roche 21 mars
certains poèmes sont des envois de Pierre Platon, bestiaire intime, éditions des Sables, Panthéon Universel de la Poésie ou de Eric Brès